Je me souviens (à la manière de Georges Perec)

Soumis en juillet 1999 à TGV-Magazine, apparemment sans suite

    1. Je me souviens des wagons de troisième classe aux dures banquettes en bois
    2. Je me souviens des repas vraiment gastronomiques dans les wagons-restaurants de la Compagnie des Wagons-Lits et de la clochette et du « premier service » qui annonçaient les repas.
    3. Je me souviens de la gare de Besançon, provisoire après la dernière guerre et qui le resta près de 20 ans.
    4. Je me souviens de la destruction d’un pont sur la Meurthe qui obligeait de changer à Mont-sur-Meurthe avec 500 mètres à faire à pied, jusqu’en 1949, pour aller de Nancy à Rambervillers (Vosges)
    5. Je me souviens du trajet Vittel-Nancy (80 km) qui durait plus de 2 heures en 1950 avec ses près de 30 arrêts.
    6. Je me souviens avoir parfois voyagé au tarif enfant, un (petit) peu après la date à laquelle j’y avais droit. Le pot-aux-roses a été découvert par un contrôleur astucieux qui m’a demandé ma date de naissance. J’ai évidemment été pris de court.
    7.  Je me souviens des bagages accompagnés.
    8. 8. Je me souviens du tramway qui assurait la liaison de la gare de La Ciotat à La Ciotat-ville et qui n’attendait ni les voyageurs un peu lents, ni ceux ayant des bagages à récupérer.
    9. Je me souviens que L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat a été tourné par Louis Lumière pendant l’été 1895. Ce fut le premier film projeté à un public payant.
    10. Je me souviens que comme La Ciotat, Orléans et Tours ont refusé de créer une gare au cœur de la ville.
    11. Je me souviens des grands trains de nuits, avec compartiments couchettes ou wagons-lits.
    12. Je me souviens avoir trié des lettres dans les wagons postaux comme auxiliaire occasionnel, sur la ligne Dijon-Saint-Gervais le Fayet.
    13. Je me souviens des trains de nuit Paris-Marseille, bondés d’étudiants jusque dans les toilettes, les jours de départ en vacances de Noël. On ne pouvait même pas accéder à ses propres réservations.
    14. 14. Je me souviens des très belles affiches publicitaires de César (ou peut-être Buffet), pour les grandes gares de destination touristiques.
    15. 15. Je me souviens des gares sans passage souterrain, dont les quais étaient plus faciles d’accès, mais au mépris de toute sécurité.
    16. Je me souviens des grands rapides que les cheminots appelaient les Voraces.
    17. Je me souviens des arrêts pour remplir d’eau la chaudière des locomotives et des bruits qui accompagnaient ce chargement.
    18. Je me souviens des passages à niveau dont la barrière était manœuvrée à la main par des gardiens pas toujours pressés de libérer la ou les voitures après le passage du train.
    19. Je me souviens d’agents de renseignements ou de services de locations qui paraissaient connaître le Chaix par cœur.
    20. Je me souviens des machines haut-le-pied
    21. Je me souviens de la catastrophe de Port d’Atelier qui fit 43 morts en 1949.
    22. Je me souviens des porteurs dans les gares
    23. Je me souviens qu’il était interdit d’utiliser les toilettes pendant les arrêts en gares.
    24.  Je me souviens des visiteurs qui tapaient les bandages de roues avec un grand maillet avant le départ des trains, sans que je sache à quoi cela servait.
    25. Je me souviens d’un oncle qui était chef de train dans des wagons de marchandises, en poste en gare de Lyon-Guillotière. Je me souviens de son langage imagé : il était à la commande (en attente d’affectation), prenait le dur (le train), souvent des broquemoles (omnibus marchandises) et empêchait les doryphores (jeunes avec sacs à dos ou clandestins en général) d’y monter.
    26. Je me souviens de la magnifique architecture de la gare d’Orsay, face au Louvre ou de la gare des Brotteaux à Lyon.
    27. Je me souviens de la savante codification des locomotives en fonction de leur nombre, place et type d’essieux.
    28.  Je me souviens que Pacifique 231 était le premier mouvement d’une symphonie d’Arthur Honneger, à la gloire de la locomotive éponyme
    29. Je me souviens des escarbilles que les voyageurs recevaient lorsque l’on oubliait de fermer les fenêtres lors du passage dans un tunnel.
    30. Je me souviens des chauffeurs et des mécaniciens aux visages complètement noirs de suie.
    31. Je me souviens du ravitaillement en eau des chaudières, en cours de route, avec le bruit si particulier qui accompagnait cette manœuvre : tchom, tchom, pouffff…
    32.  Je me souviens d’une visite d’un dépôt pendant lequel j’ai appris ce qu’était un crocodile, une bande Flaman, un mouchard, un anspect que les cheminots prononçaient lance pet.
    33. Je me souviens avoir longtemps confondu chemineau avec cheminot.
    34. Je me souviens de la manœuvre rapide et complexe d’attelage entre deux wagons pour raccorder deux rames.
    35. Je me souviens que par fort mistral il y avait parfois deux locomotives pour tracter un train du PLM.
    36. Je me souviens des trains mythiques qui me font encore réver : le Transsibérien, l’Orient Express, le train Bleu (Prétoria-Le Cap)
    37. Je me souviens des petits trains touristiques comme celui du Vivarais, qu’on appelait « Le Mastrou » ou le train Jaune de Cerdagne, en pays Catalan.
    38.  Je me souviens avoir vu, dans les années 50, une personnalité venir serrer la main du mécanicien à l’arrivée en gare de Marseille. Depuis j’ai souvent envie de faire de même mais je ne vois jamais les conducteurs sortir de leur motrice.
    39. Je me souviens que j’ai longtemps cru, à tort, que les expressions : « mener grand train », « le diable et son train », « un train d’enfer » ou « au train où vont les choses » avaient une relation avec les chemins de fer.
    40. Je me souviens que l’éminent physicien Arago est tombé dans mon estime lorsque j’ai appris qu’il avait dénigré le chemin de fer lors de la création de la première ligne Paris- Saint-Germain-en-Laye, arrêtée au Pecq (1837): député il affirmait à l’Assemblée Nationale que « le transport des soldats en wagon les efféminerait » que les trains ne pourraient monter la cote de Saint-Germain-en-Laye et il mettait en garde contre les fluxions de poitrine, pleurésies, catarrhes, que les usagers ne manqueraient pas d’attraper à partir de 40 km/h et contre une hypothétique explosion de la locomotive…
    41. Je me souviens que le chemin de fer est un jeu de casino, du même type que le baccara, qui tire son nom du sabot dans lequel sont placés les 6 jeux de 52 cartes et qui passe d'un joueur à l'autre. Et de la construction d’un réseau en 00
    42. Je me souviens de ma fascination pour les trains miniatures et de ma dernière construction, pour les enfants ( ?) en format N (écartement des rails 9 mm)
    43. Je me souviens avoir lu Le Train de 8h47 de Courteline
    44. Je me souviens de la Bête humaine, de Jean Renoir (1938), dont une des vedettes était la locomotive omniprésente.
    45. Je me souviens de la Bataille du rail, de René Clément (1946), à la gloire des cheminots résistants.
    46. Je me souviens du Train fatal, chanson réaliste créée par Bérard en 1918 (paroles et musique de : Charles Borel-Clerc et de Charles-Louis Pothier). Chauffeur et mécanicien s’entretuent pour une femme, laissant un train, empli de plaisanciers allant vers la mer, sans contrôle.
    47. Je me souviens qu’Agatha Christie a utilisé l’univers clos du train pour son livre Le Crime de l’Orient Express
    48. Je me souviens que l’explorateur Dumont d’Urville a été une des quelque 160 victimes de la première catastrophe ferroviaire française, en 1842.
    49. Je me souviens que Louis Hémon, l’auteur de Maria Chapdelaine, est mort à 32 ans, au Canada, happé de façon inexplicable par un train.
    50. Je me souviens avoir appris puis chanté En sortant de l’école, nous avons rencontré un grand chemin de fer qui nous a emmenés tout autour de la terre dans un wagon doré.  C’était un délicieux poème de Prévert mis en musique par Kosma en1946.